Résumé:
A Prague, en 1942, deux hommes doivent en tuer un troisième. C’est l’opération » Anthropoïde » : deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres sont chargés d’assassiner Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, planificateur de la solution finale, » le bourreau de Prague « , » la bête blonde « , » l’homme le plus dangereux du IIIe Reich « . Heydrich était le chef d’Eichmann et le bras droit d’Himmler, mais chez les SS, on disait : » HHhH « . Himmlers Hirn heisst Heydrich – le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich. Tous les personnages de ce livre ont existé ou existent encore. Tous les faits relatés sont authentiques. Mais derrière les préparatifs de l’attentat, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L’auteur, emporté par son sujet, doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, pourtant, mener l’histoire à son terme.
Comment ce livre est-il arrivé entre mes mains?
J’ai acheté suite à une discussion avec mon amie Claire. Elle souhaitait regarder le film qui en a été adapté. Étant dans une phase de lecture historique acharnée, j’ai regardé le résumé et j’ai décidé qu’il me le fallait. Je l’ai acheté quelques jours plus tard et j’ai débuté ma lecture directement.
Mon avis:
Ma chronique va être un peu décousue car, si j’ai aimé ce roman j’ai également relevé beaucoup de points qui m’ont dérangée pendant ma lecture.
Le cadre du livre est clairement présenté dans le synopsis: l’opération Anthropoïde ou l’assassinat de Reinhard Heydrich. Ce n’est pour autant pas un essai historique ou un récit exact des évènements menant à la mort du « bourreau de Prague ». L’auteur a choisi une forme originale de récit: il se met en scène dans l’histoire et l’Histoire. Les chapitres alternent le récit des évènements menant au succès de l’opération et des réflexions de Laurent Binnet sur ses recherches, sa vie privée et ses questionnements sur la qualité de son œuvre. La forme est également différente: Les chapitres sont extrêmement courts, leur taille variant d’une phrase (« Bref, finalement ils ont sauté. »p241) à une petite dizaine de pages, pour les scènes les plus importantes.
L’implication de l’auteur et cette forme assez originale de roman/auto-fiction/essai permet de créer une complicité avec le lecteur qui fonctionne bien la plupart du temps. J’ai pourtant été gênée plusieurs fois par la façon dont l’auteur évoque les femmes: « les femmes de Tchécoslovaquie sont les plus belles » et autres remarques détaillant le physique de ses compagnes ou celles des protagonistes de son histoire, peu utiles au récit.
La réflexion sur la difficulté de raconter l’Histoire est intéressante, elle prend presque le dessus sur le récit historique. L’auteur a-t-il le droit d’inventer pour combler les blancs dans les informations? Peut-il se permettre de parler à la place de ses héros (notamment Jan Kubiš et Jozef Gabčík) qui ne sont pas des personnages fictifs mais réels? Ces questions sont en arrière plan durant tout le récit et il ne propose pas de réponse toute faite. Pour appuyer ses remarques, il évoque beaucoup d’autres écrivains, par moment avec un manque de modestie assez flagrant. Les comparaisons, qui reviennent régulièrement, alternent entre remarques intéressantes avec remises en question et saillies trop appuyées, un peu prétentieuses.
Vous le savez peut être, j’adore l’Histoire. A mon grand plaisir, Laurent Binnet cite de nombreux ouvrages et films, ce qui m’a donné envie d’approfondir encore le sujet. J’ai trouvé le travail de recherche impressionnant. Ses réflexions sur le tri et les choix à faire que j’ai déjà évoquées montrent son sérieux (la question de la couleur d’une voiture revient régulièrement, illustration de la difficulté à se baser sur des témoignages visuels).
Par contre, par moment, il se lâche complètement: il parle du « Gros Göring », de la « tête de hamster » d’Himmler ou de Lina Heydrich qui « peut passer pour jolie ». Ne vous méprenez pas, je ne vais pas défendre les nazis, mais leur apparence physique n’est pas importante. Tous les dignitaires nazis sont coupables d’horreurs, ils ont commis des actes ignobles. Choisir de les critiquer sur le fait qu’ils soient « moches » me semble totalement inapproprié face à la liste interminable de leurs crimes voire de leurs traits de caractère connus, comme la mégalomanie, la lâcheté, la cruauté, la manipulation ou encore l’arrogance.
Bien sûr, l’auteur souligne à un moment l’hypocrisie de la volonté de « pureté de la race aryenne » à laquelle la plupart des responsables nazis ne correspondaient pas (« physique dégénéré » des dignitaires nazis, p263). Il est intéressant de mettre en avant les contradictions d’une idéologie meurtrière et hypocrite, mais cette mise en perspective n’intervient qu’au 2/3 du roman. Les remarques précédentes semblent plus une volonté d’humilier « l’ennemi ». En résumé, ces hommes auraient pu avoir un physique de dieux grecs, je ne les en mépriserais pas moins.
Il est impossible d’évoquer le nazisme sans émettre un jugement de valeur. L’auteur étant présent dans le récit donne son ressenti sur différents personnages historiques et notamment Saint-John Perse qu’il traite de « sac à merde ». Ces jurons et insultes m’ont gênée. Bien qu’à postériori certaines décisions soient totalement critiquable et lâches, la situation était extrêmement complexe. Sans excuser quoi que ce soit ou diminuer la responsabilité des acteurs de l’époque, je préfère la nuance. Je précise que je ne parle pas des collaborateurs zélés, mais des autres, passifs ou effrayés.
Hormis les remarques précédentes, les jugements émis ne m’ont pas dérangée, son ouvrage ne prétendant pas être objectif, au contraire des insultes et de l’insistance à parler de la folie des nazis. Ils ne sont pas fous, ni « dégénérés mentaux« , ils ont une vision du monde ignoble et ont commis des crimes impardonnables. Être malade sous-entend une diminution de la responsabilité. De plus, c’est insultant pour les personnes souffrant vraiment de maladies mentales.
Cette chronique semble négative et pourtant j’ai dévoré ce livre. Les dernières pages sur l’attentat en lui-même sont excellentes et le récit permet de réfléchir à la façon dont il faut raconter l’Histoire. J’ai été gênée par certains jugements absolus. Cependant, je comprends que ce sujet soulève les passions et que l’indifférence est impossible face à l’horreur.
Ce livre est une mine d’informations et une reconstitution intéressante des mois précédents la mort d’Heydrich. Il permet à mon sens d’ouvrir une discussion sur la façon d’aborder l’Histoire ainsi que la découverte d’évènements de la Seconde Guerre Mondiale assez peu étudiés en France. Toutefois certaines formulations un peu trop orgueilleuses et l’utilisation de termes insultants ternissent le message proposé. Entre ses qualités et ses défauts, j’ai du mal à avoir un avis tranché sur ce livre. Je vous conseille comme toujours de vous faire votre propre opinion et de venir m’en parler après si vous le désirez!
Merci à mon papa et à Ena.L qui m’ont aidé quand je doutais de ma chronique 🙂
Informations pratiques: Publie en 2010 chez Grasset. Existe en Broché (10.90€), poche (7.90€), livre numérique (7.99€) et livre audio (20.90€)
Je ne connaissais ni le livre ni le film je dois dire. J’aime bien généralement les romans sur la guerre, toujours très intéressants et touchants
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c’est un roman très particulier vu qu’il raconte des faits réels, avec des petites touches inventées et des réflexions de l’auteur sui raconte sa vie.
La WW2 est un sujet vaste et intéressant, très touchant en effet et souvent horrifiant!
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J’ai commis le sacrilège ultime : j’ai visionné le film avant de voir le livre (qui est pourtant dans ma bibliothèque). On m’a souvent parlé du bouquin, c’est pourquoi j’en ai rapidement fait l’acquisition. On m’avait aussi prévenue que sa lecture était un poil exigeante, et je voulais vraiment attendre le bon moment pour le lire (j’attends toujours du coup !). Par contre, un weekend il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de voir le film et je n’ai pas été déçue (et mon envie de lire le livre n’a pas été diminuée). Si tu ne l’as pas encore vu, je te le conseille, et je serai curieuse d’avoir ton avis pour faire le comparatif (et me lancer, enfin, dans la lecture du bouquin !). Merci pour cet article très intéressant en tout cas 🙂
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Vade retro satanas 😂
J’ai fait la même pour Ready Player one il y a peu^^ tu n’es pas seul!
Je pense en plus que pour ce roman, le film ne dois pas gâcher le plaisir! Il raconte l’histoire de Gabčik et Kubiš ainsi que d’Heydrich je suppose! Les réflexions et l’histoire de l’auteur ne sont pas incluses?
Il faut que je le regarde bientôt, je te dirais ce que j’en pense 😉
La lecture est exigeante si tu ne connais pas trop cette période de l’Histoire, mais cela reste raisonnable 😉
Merci à toi, j’ai eu du mal à l’écrire, mon avis étant très partagé 😊
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Je comprends tout à fait ton ressenti à propos du physique des nazis. Qu’est-ce que cela vient faire là? Pour ma part, cela me coupe tout envie d’aller plus en avant.
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Ça fait un peu cour d’école en fait^^ j’ai longtemps attendu la mise en perspective avec la valorisation nazi des aryens (p280 je crois, pas avant).
Apres il y a aussi beaucoup de bonnes choses et les faits sont précis et documentés !
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Travaillant dans un service d’archives, le rapport entre histoire et fiction m’intéresse tout particulièrement. Depuis le temps qu’il faut que je lise ce roman !!
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Il n’apporte pas de réponses, mais il explique bien les étapes de sa réflexion, ses doutes et ses choix. J’espère que le récit te plaira 🙂
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Comme d’habitude, une analyse fine et intéressante d’une œuvre. Tout ceci me donnerait même envie de lire ledit livre même si ce n’est pas ma passion les romans historiques.
Continue.
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Je te le prête quand tu veux, en plus ce n’est qu’en partie de la fiction, il y a aussi une part de non-fiction 😉 merci 😘❤
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